Interview Julien Lesieur
INTERVIEW
Découvrez le parcours inspirant de Julien LESIEUR, anciennement Directeur Technique dans une grande agence de communication luxembourgeoise, il a choisi l'Artisanat pour sa reconversion professionnelle.
Présentation
Nom, prénom : LESIEUR Julien
Ville : Thionville
Âge : 41 ans
Diplômes :
-
2001 – Bac Scientifique spécialité Mathématiques
-
2003 – DUT informatique
-
2004 - Licence professionnelle informatique, spécialité développeur informatique pour le commerce électronique
-
2017 – CAP Boucher – Assistant de Dirigeant d’Entreprise Artisanale
Ancien métier : Directeur Technique durant 12 ans
Nouveau métier : Boucher depuis 2017 & co-gérant de la Boucherie Les Frangins depuis septembre 2022
Raison sociale entreprise : Boucherie Les Frangins
1) Qu'est-ce qui vous a poussé à changer de carrière et à passer de Directeur Technique
à boucher ?
J’ai effectué un cursus scolaire classique en filière générale. À 16 ans, on entend souvent qu’il faut passer son bac avant toute chose, que les filières professionnelles sont réservées aux gens qui rencontrent des difficultés à l’école… C’est bien dommage, et aujourd’hui je considère que je suis tombé dans le panneau. Malgré mon intérêt pour les métiers de l’artisanat, j’ai fait des études d’informatique après avoir obtenu mon baccalauréat scientifique.
J’ai alors mené une carrière de 12 ans dans le domaine de la communication, du développement informatique et de la création de sites internet. J’y ai gravi les échelons jusqu’à devenir directeur technique d’une des plus grosses agences de communication luxembourgeoise.
Cette expérience a été extrêmement enrichissante : manager une équipe dans les bons comme les mauvais moments, participer à la définition de la stratégie et du positionnement commercial de l’entreprise, répondre à des appels d’offres étatiques, réaliser des budgets, des plannings, des recrutements, etc… J’ai beaucoup appris.
Mais au bout de 4 ans de direction technique, j’ai eu un désaccord lourd avec ma hiérarchie jusqu’alors bienveillante, et j’ai commencé à subir mon travail. Un déclic. Il fallait que je change de voie pour un travail qui m’apporterait plus de sens au quotidien.
J’ai alors annoncé ma volonté de partir à mon employeur.
2) Pourquoi boucher ? Comment avez-vous découvert votre passion pour ce métier ?
En parallèle de ma vie professionnelle, j’ai toujours eu un attrait pour les métiers de l’artisanat, et plus particulièrement pour la boucherie. D’abord parce que j’aime cuisiner et manger de la viande et des plats gourmands ! Mais aussi pour un métier tellement complet : la découpe en finesse de la viande, la mise en valeur des produits par une présentation créative, l’activité physique nécessaire à la pratique du métier, les précieux conseils dispensés aux clients, le respect des bêtes, de l’élevage, des traditions et des produits. J’ai toujours eu un grand respect pour les artisans bouchers.
3) Quelles ont été les étapes dans votre processus de reconversion ? Avez-vous été accompagné par des des conseillers-experts en reconversion de Pôle Emploi, de la CCI ou de chez nous, la CMA ?
Je pense évidemment à Mme Sylvie Bour, la responsable de la formation pour adultes à la CMA de Metz. J’avais bien sûr pris contact avec Pôle-Emploi auparavant mais c’est véritablement elle qui m’a offert le meilleur conseil.
Elle m’a encouragé à effectuer deux stages découverte, l’un en boucherie en grande surface pendant une semaine, et l’autre en boucherie artisanale pendant deux semaines. Ils ont permis de me connecter au métier de boucher et de valider mon projet professionnel.
Je me suis donc inscrit à la formation continue pour passer un CAP Boucher. Cerise sur le gâteau, cette année-là, nous avions la possibilité de passer le diplôme d’Assistant de Dirigeant d’Entreprise Artisanale. Je m’y inscris également dans le but de pouvoir gérer une boucherie à moyen terme.
J’ai eu la chance d’avoir l’appui de Mme Bour auprès de Pôle-Emploi pour pouvoir toucher le chômage pendant la formation.
4) Comment avez-vous acquis les compétences nécessaires pour réussir dans votre nouveau métier ? Dans quelle école ? Comment s’est passée cette reprise des cours en tant qu’adulte ? Étiez-vous dans un groupe d’adultes en reconversion ou avec des apprentis de tout âge ?
Tout d’abord j’ai eu la chance de rencontrer M. Denis Dordain, l’ancien patron de la Boucherie Denis, à qui nous avons racheté la boucherie avec mon frère pour créer la Boucherie Les Frangins. Il m’a pris comme stagiaire et m’a appris le métier de boucher avec le savoir de toute une carrière. Ça a été un très bon maître d’apprentissage.
Pendant mon alternance, j’étais au sein d’un groupe d’adultes en reconversion à la Chambre des Métiers de Metz. La formation durait un an. Dans la classe nous étions trois bouchers, deux charcutiers-traiteurs et une quinzaine de boulangers et pâtissiers. Si nous suivions les cours généralistes en classe complète, les cours de spécialité eux se faisaient en groupes réduits. A cinq dans une classe ce sont quasiment des cours particuliers, dans ces conditions c’est du luxe !
Bien sûr à 33 ans quand on reprend un CAP, on se pose pas mal de questions et il y a une obligation de résultat. Alors j’ai décidé de me lancer à fond. En tant qu’adolescent j’avais tendance à subir les cours, mais en tant qu’adulte et dans ces conditions, il fallait se donner les moyens de réussir et absorber le maximum. Je ne m’y suis pas ennuyé, j’ai posé toutes mes questions et j’ai pu aborder tous les sujets possibles avec les professeurs, c’étaient très enrichissant. Les cours étaient beaucoup plus participatifs et dynamiques que dans mon premier cursus.
5) Quels ont été les défis auxquels vous avez été confronté lors de cette transition vers ce métier de l'artisanat ?
Il y a plusieurs défis qui se présentent.
Sur le plan personnel, le plus important des défis est le financement de la formation et la baisse des revenus quand on vient du Luxembourg. C’est un réel changement de train de vie qui s’opère, et même en obtenant le diplôme il faut s’attendre à toucher le SMIC pour démarrer sa nouvelle carrière. L’idéal est d’anticiper et de mettre de l’argent de côté, si on le peut. J’ai eu la chance de toucher le chômage pendant ma formation. Pour le reste j’ai dû accepter de ralentir mon train de vie… Mais je ne le regrette absolument pas !
Sur le plan moral il y a des doutes et des questionnements qui reviennent régulièrement pendant l’année. Il faut du courage pour se lancer dans le processus de reconversion, mais probablement également un brin de folie pour sauter le pas. Ensuite il y a un peu de crainte de se tromper de voie, d’échouer et de devoir retourner dans son ancien métier par défaut. Il faut être solide et croire en soi. J’ai la chance d’avoir été motivé et accompagné par ma compagne dans ma démarche, c’était très important pour moi d’avoir son soutien. J’ai également pu montrer à mes enfants que si on travaillait bien à l’école, on avait de bonnes notes !
Le rythme de la vie de famille change également, en tant que boucher vous travaillez les samedis, et c’est la plus grosse journée de la semaine. Les fêtes se passent également différemment, à Noël on travaille comme des forcenés, et on finit par s’endormir entre le foie gras et le saumon le soir du réveillon ! Mais en travaillant aux 35 heures par semaine réparties sur 6 jours, cela vous laisse beaucoup de temps pour vous et les semaines sont agréables.
Pour finir sur le plan professionnel, vous retournez en bas de l’échelle et il faut faire preuve d’humilité. Vous êtes au même niveau qu’un jeune de 16-17 ans. Il faut l’accepter et savoir satisfaire au mieux les besoins de l’entreprise. Passer de l’informaticien au boucher pour s’intégrer au mieux dans l’équipe. Les bouchers ont la réputation d’être bruts de décoffrage, il est vrai qu’il faut se battre pour mériter sa place !
6) Quelles compétences ou expériences de votre ancienne carrière avez-vous trouvé utiles dans votre nouveau domaine d’activité ?
Tout d’abord, c’est bien sûr tout le côté communicationnel pur. Gérer un site internet, les réseaux sociaux de l’entreprise, lancer une campagne de pub, et même maîtriser l’outil informatique sont des éléments qui m’aident au quotidien. Nous faisons des dépliants professionnels pour les fêtes sans dépenser de budget externe, c’est très appréciable. Nous gérons également nos commandes de Noël avec des tableaux Excel croisés dynamiques, ce n’est probablement pas très courant pour un boucher mais ça nous aide beaucoup.
D’une manière générale, dans mon ancienne carrière, du fait de mon poste de directeur, j’ai eu à gérer pas mal de situations de crise et des grands moments de stress. Cela va de défendre un projet auprès de représentants de la Grande Région ou du gouvernement luxembourgeois, en passant par donner des formations à 25 personnes, ou même réagir avec sang-froid après le hack du site d’un des plus grands de nos clients. Les sommes d’argent mises en jeu étaient parfois impressionnantes. Cette gestion du stress m’a beaucoup aidé pour répondre au mieux aux besoins de nos clients. Ça n’en a pas peut-être pas l’air mais il y a beaucoup de questions qui se posent pour donner le meilleur morceau à chaque client et c’est tout aussi stressant à mon avis car c’est du direct, il faut être très réactif et ne pas se tromper sinon vous perdez un client…
Pour finir la troisième compétence qui m’est utile au quotidien, c’est la gestion d’équipe. En tant que co-gérant d’une entreprise de 11 salariés, inutile de préciser qu’il vaut mieux avoir de solides qualités de management pour ne pas trop s’arracher les cheveux !
7) Quels sont les aspects les plus gratifiants de votre nouvelle carrière ?
C’est le moment de vous présenter mon frère, Guillaume, l’autre co-gérant de la boucherie. Il est traiteur de formation et a eu un parcours d’excellence tout au long de sa carrière. Travailler en famille est un vrai bonus. Bien sûr nous avons certaines divergences d’opinion parfois, mais nous pourrons toujours compter l’un sur l’autre et c’est très sécurisant. Chacun peut prendre le relais de l’autre et l’équipe comme la clientèle est toujours entre de bonnes mains !
Nous mettons ensemble un point d’honneur à effectuer un travail de qualité et proposer des produits qui nous plaisent. C’est très important de représenter une filière vertueuse. Notre bœuf est exclusivement lorrain, nous proposons des veaux, volailles et agneaux Label Rouge, nos lapins viennent de la ferme, nos plats du jours sont équilibrés et variés, etc… Nous sommes le pays de la gastronomie, nous y participons fièrement et il n’y a rien de plus satisfaisant d’avoir les retours conquis de notre clientèle. Mon frère propose des prestations traiteur complètes, jusqu’aux mariages gastronomiques. Les clients reviennent avec le sourire et ça efface tous les soucis !
C’est d’ailleurs l’un des plus gros changements avec mon ancienne carrière. Le contact avec les clients est beaucoup plus proche et sain. Moins de mails et de téléphone, le contact est concret. La fidélité de notre clientèle est telle qu’on se connait, qu’on échange, on suit les tranches de vie, on voit des enfants naître puis grandir, c’est très agréable de les voir passer avec le sourire et de nous donner leurs retours sur leurs derniers achats.
Tout cela ne serait pas possible sans notre équipe de choc ! C’est le dernier point gratifiant, nous essayons d’être droits et respectueux vis-à-vis de nos employés et je pense qu’ils se sentent bien chez nous. Nous aimons travailler dur, mais dans la bonne humeur s’il vous plaît !
8) Quel bilan tirez-vous de ce choix de nouvelle carrière ? Dans votre vie personnelle et professionnelle ?
Le bilan est très satisfaisant. Je suis beaucoup plus épanoui dans mon travail et je vais très rarement au travail à reculons. La boucherie est un vrai coup de cœur. J’ai transformé une envie en passion, puis en métier et j’en suis sincèrement satisfait. Il y a encore beaucoup de sujets à approfondir, de techniques à apprendre, de races de viandes à découvrir et de plats à confectionner avec mon frère !
Tout cela se ressent dans ma vie personnelle. Bien sûr, en tant que patron, je ne suis plus au 35 heures par semaine et il y a de la fatigue, mais j’apprécie d’autant plus les moments passés avec ma femme et mes enfants. Je suis fier du travail que l’on fait avec mon frère et je suis d’une manière générale plus serein. Pourvu que ça dure !
9) Quels sont vos objectifs professionnels à long terme ?
C’est dur de se projeter à long terme après un tel accomplissement en si peu de temps ! Il y a seulement 10 ans je passais toutes mes journées derrière un ordinateur…
Pour l’instant je me contenterais du moyen terme : il faut continuer à pérenniser l’entreprise et il y a beaucoup de chantiers à mener, notamment réaménager les locaux, continuer à proposer de nouveaux produits, et alors potentiellement le plus important des chantiers pour se développer serait de créer un nouveau laboratoire ou pourquoi pas un second magasin ?
10) Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui envisage comme vous, une reconversion professionnelle, et plus particulièrement une reconversion dans un métier de l'artisanat ?
Comme dit précédemment, je pense que c’est un projet qu’il faut mûrir sur le plan financier. Ça ne doit pas être un simple ras-le-bol de son quotidien car l’investissement peut être important.
Mais ensuite il faut tout simplement croire en soi. N’écoutez pas les sceptiques et les donneurs de leçons, il n’y a pas d’âge, pas de règles établies. Faites-vous confiance et foncez !
A l’heure de l’intelligence artificielle, les métiers de l’artisanat sont tellement beaux et valorisants à titre personnel, le jeu en vaut vraiment la chandelle !
Retrouvez la Boucherie Les Frangins : 53, rue des Graminées, 57100 Thionville-Elange
03 82 34 09 56 | https://www.traiteur-thionville.fr/
Et sur les réseaux sociaux : Facebook & Instagram